Salsa d’hier et aujourd’hui

Une réflexion par Marine T.


Cette analyse personnelle n'est pas une vision de la salsa dans sa totalité, mais explique la façon dont je vis et ressens cette danse, et ce qu'elle apporte à ma vie. Cette vision est la mienne et celle des gens que j'ai côtoyés durant cette année. Tout le monde peut percevoir cette danse différemment...
Pourquoi la salsa plaît-elle ?

La salsa plaît pour différentes raisons. Le premier intérêt de la salsa est que chacun peut mettre une touche de sa personnalité : on y intègre ce que l'on souhaite ou désire.

On peut apprendre différents styles et en changer selon son humeur. La salsa est très différente selon les pays et les régions. La salsa de Paris est très différente de celle que l'on danse à Cuba. Il s'agit cependant toujours de salsa, mais dansée d'une autre manière.

La salsa plaît par son exotisme : elle permet de rencontrer les cultures afrohispaniques, car elle vient de l'Afrique, avec ses coutumes religieuses, ses traditions et aussi de l'Europe avec la contredanse, une danse d'influence française, et apportée par les riches Espagnols et les colons français (venus de Haïti et de Louisiane). Cette danse repose aussi sur des siècles de misère, de pauvreté, et de gouvernements dictatoriaux, dont elle permet de s'évader. Cuba a hérité de la fougue espagnole et des rythmes des Noirs africains. Au XXème siècle, cette île a longtemps été une zone de contact et d'échange culturels entre les Etats-Unis et l'Europe. La salsa est un mélange de différents pays, elle s'est créée grâce à cette multiculture.

Nous avons un grand besoin de rencontrer d'autres cultures pour enrichir notre vie. Le fait de découvrir les Cubains, de danser avec eux, nous fait partager leur joie de vivre pendant quelques heures. C'est une des rares activités qui permet de rencontrer des hommes et des femmes de toutes couleurs : dans une soirée salsa, les Noirs, les Blancs, les Asiatiques, ... se côtoient avec bonheur, dans l'ivresse de cette danse. Ce métissage actif donne à la salsa son atmosphère particulière.

Les passionnés de salsa font le voyage jusqu'à Cuba. Plusieurs d'entre eux m'ont raconté que leur mode de vie était très différent du nôtre : partout où l'on va, on peut entendre de la musique, des chants, et ressentir une joie de vivre, malgré la pauvreté et leurs conditions de vie dans ce pays sous dictature communiste.

Nous avons donc envie de découvrir l'autre, sa culture. Si les gens apprennent la salsa comme un loisir, pour faire comme les amis et qu'ils ne s'intéressent pas du tout à la culture qui vient avec, ils abandonnent vite, car ils n'arrivent pas à absorber ce que pourrait apporter cette danse. Pour eux la salsa est comme n'importe quelle activité physique (au lieu d'aller faire du step en salle de fitness, ils vont danser...). Tandis que ceux qui apprennent la salsa en s'imprégnant de la culture, en s'intéressant au contexte de cette danse, comprennent pourquoi celle-ci est si appréciée, si chaleureuse, si conviviale...
Qu'est-ce qu'apporte cette danse ?

La salsa est une danse naturellement conviviale, sensuelle, chaleureuse et envoûtante. Elle apporte réconfort, joie et fête.

Lorsque je sors dans les cafés où « les salseros » se donnent rendez-vous, en fin d'après-midi ou en soirée, la convivialité est toujours là. Les gens sont ouverts, agréables, rieurs, en fin de compte, tout simplement épanouis. Et c'est cela qu'apporte la salsa.

La vie quotidienne est carrée, bien définie. Le travail professionnel prend une telle importance que plus d'un tiers des choses que nous faisons est en fonction du métier. Nous avons besoin de chaleur humaine, de renouveau ... La salsa est comme un bol d'air frais, elle sert à équilibrer la vie, à nous ressourcer et à nous changer...

La salsa est bien plus qu'une danse : elle semble être une communauté qui s'étend de plus en plus. C'est toute une grande famille. On s'agglomère à un groupe, on participe presque à un rituel quand on se retrouve dans un endroit pour partager la passion pour la salsa et sa culture. De plus, elle permet d'établir de nouvelles relations amicales, voire amoureuses... De rencontrer des gens qui ont les mêmes intérêts que soi...
Mais pourquoi pas le rock ou la danse classique ?

Le rock a un aspect très tonique, très acrobatique. S'il fallait lui donner une forme géométrique, il serait carré. Mais ce qui manque au rock est l'aspect séduction entre l'homme et la femme. Evidemment il y en a, mais il s'agit d'une séduction assez brusque et non sensuelle comme celle de la salsa. De plus, cette danse est très technique, tandis que la salsa est beaucoup plus souple et coulante : il y a une grande liberté des gestes et mouvements. Et enfin le rock a tout de même un aspect « vieillot », ancien. Il est souvent associé à la danse des soixante-huitards même si depuis quelques années il se pratique davantage.

Le classique, lui, à un aspect très droit, crispé, avec des gestes qui possèdent une forme qui doit être exacte et non approximative. On force l'en dehors. La tolérance n'existe pas. Tout doit être exact ! De plus, cette danse exige un certain type d'individu : très élancé, fin (voire squelettique, dans certaines écoles).

Dans la salsa, la femme est très féminine (lorsqu'elle se déhanche), et sensuelle. La musique est coulante mais très rythmée. On sent à travers la musique un certain tonus, une certaine gaieté. Lorsqu'on danse, on sent une liberté dans ses gestes, dans ses figures, tout est improvisé. Le danseur choisit ses passes comme il le souhaite, et la danseuse ajoute ses propres variations.
Nos sociétés et la salsa

Actuellement le besoin de rencontrer les autres est très grand dans nos sociétés, car elles ne répondent plus aux aspirations de la population. Elles sont trop individualistes et les gens sont très solitaires. La salsa est un moyen de retrouver sa place dans nos sociétés occidentales. Il s'agit d'un réapprentissage, de retrouver un aspect collectif que nous perdons, d'un réinvestissement. Les gens cherchent un moyen de re-communiquer ensemble : la danse en est un.

En Europe, les danses étaient très présentes il y a encore 50 ans. Mais, nos sociétés occidentales, qui privilégient l'individualisme, ont fait disparaître toutes ces coutumes (au Moyen-âge, la danse faisait partie de la fête, il était normal de danser quotidiennement, de se faire plaisir...)

Actuellement, la danse à deux devient rare. On danse seul, dans une sorte d'hypnose égoïste, sans connaître un pas. On n'apprend plus à danser. L'ennui apparaît vite car il n'y a plus de partage, de relations entre les individus. Ces « nouvelles » danses sont en réalité très primitives. Il n'y a aucun effort à fournir. Savoir danser signifie maintenant savoir se trémousser. Après être passé par l'absence des contraintes, on constate une grande pauvreté de ces danses. Donc le besoin se fait ressentir à nouveau de savoir danser à deux ou à plusieurs, avec des pas élaborés, une chorégraphie, et davantage d'esthétique. On en vient à vouloir de nouveau apprendre des anciennes danses, quitte à prendre du temps et faire des efforts.

De plus, nous vivons dans une société qui nie la différence hommes/femmes. La femme est l'homme, l'homme est la femme. Il est vrai qu'il s'agit d'une réelle égalité, d'une liberté. Mais cependant, n'avons-nous pas perdu la notion de la séduction entre l'homme et la femme, d'une reconnaissance de la différence entre l'homme et la femme ? Tout le monde peut tout faire. La réussite passe par la réussite professionnelle. La femme se bat pour avoir son statut social et être à la hauteur de l'homme professionnellement. Or il est impossible que la femme devienne homme ou que l'homme devienne femme : la féminité et la masculinité disparaissent. On n'arrive plus à se situer, on est perdu. Cela crée un manque d'identité sexuelle profond. La salsa permet de revivre cette polarité dont nous avons besoin pour nous épanouir.

Alors que dans nos sociétés, la courtoisie entre la femme et l'homme se perd, la salsa permet une communication différente entre l'homme et la femme. Elle sert à ce que l'homme retrouve sa place ainsi que la femme.

De plus, dans nos sociétés, la femme n'est absolument pas respectée. Il suffit de regarder dans n'importe quel magazine ou publicité pour confirmer : la femme est représentée dans la pub, d'une façon très précise : sexy, charnelle, et provocante ! Il y a un idéal type : la femme doit être représentée d'une certaine façon, avec des mensurations bien définies. Il s'agit uniquement du fantasme de certains messieurs. Mais faut-il rappeler que la femme peut être ronde, plate... ?

Qu'on soit grosse, petite, plate, boutonneuse, trop grande,... la salsa ne s'en préoccupe pas. C'est ce qu'on dégage en dansant qui importe. Le charme naturel, la maîtrise du corps et de l'âme dépassent l'aspect extérieur. Il n'y a pas de stéréotype précis pour savoir danser la salsa. La salsa est faite pour les gens qui aiment danser, s'amuser et partager avec les autres. Il vous suffit d'écouter la musique et regarder les Cubain(e)s danser pour comprendre que tout le monde peut faire partie de la fête et partager de la joie...
Un équilibre du corps et de l'âme

Nos sociétés individualistes mais aussi intellectuelles nous empêchent de nous épanouir entièrement. La tête et le cerveau sont ce qui compte le plus : penser, travailler est le plus important. Nous sommes coupés entre notre corps et notre tête. Nous avons grand besoin de retrouver l'unité entre notre corps et notre tête sans laquelle nous ne pouvons pas être heureux, équilibrés et épanouis.

Dans la salsa, nous utilisons naturellement nos sens. Le toucher est continuellement actif, l'ouïe nous sert à écouter la musique et le rythme, le sens de l'équilibre pour tourner, le sens de l'espace pour sentir les gens autour de nous (sans lequel nous nous bousculerions entre nous), la vue pour regarder notre partenaire ; même l'odorat est stimulé par les parfums et la sueur... Une certaine ivresse s'ensuit.

Nos sociétés ont culpabilisé le corps, en le mettant comme dans un moule, en donnant une certaine norme à l'apparence physique, d'où une explosion du corps entre la publicité (érotisme pervers) et le n'importe quoi (il suffit juste de regarder certaines personnes, en particulier les adolescentes et adolescents, dans la rue pour le comprendre...). Pour nous, le corps est souvent associé à la sexualité, à l'objet, à la provocation, voire même au mal. Combien de fois ai-je entendu : « Les filles qui dansent la salsa sont des aguicheuses, des provocatrices, des femmes qui aiment le sexe... ». Ces gens ne savent absolument pas de quoi ils parlent : ils confondent la sexualité avec la sensualité. Dans nos civilisations chrétiennes, nous avons gardé une grande culpabilité par rapport à la sensualité. Le bas du corps, à partir de la taille, est tout de suite associé à l'animalité, voire à la perversité, ou alors il n'existe pas du tout.

Contrairement à la rumba guaguanco (voir chapitre rumba et salsa), la salsa est beaucoup plus évoluée. Le but n'est pas d'arriver à conquérir sexuellement son partenaire mais d'exprimer une sensualité douce et un partage. En effet, la salsa permet d'exprimer la sensualité, sans culpabilité. Grâce à elle, nous faisons jouer notre corps, mais pas d'une façon explosive. Cette danse permet d'exprimer toute une sensualité, que nous possédons tous, en faisant comme une sorte de « petite oeuvre d'art ». La salsa est une danse très agréable à regarder.

On éprouve un plaisir dans tout le corps puisque pour une fois le bas du corps s'épanouit, en même temps que le haut. Le corps est enfin unifié, entier. Lorsque l'on danse, l'activité du corps, le sentiment de joie, de plénitude, d'épanouissement et l'intellect, qui réfléchit aux pas, aux figures,... forment un tout.

D'autre part, bien que cette danse se révèle sensuelle, qu'il y ait un réel rapprochement de deux corps, l'essentiel n'est pas là : le partage entre deux individus ou plusieurs est le plus important. Ce partage est celui du plaisir de la salsa, et d'être proche corporellement sans avoir d'intimité avant ou après la danse. Dans la vie courante, nous ne pouvons pas expérimenter cet échange sans qu'il ne soit tout de suite mai interprété ou associé au désir amoureux ou encore sexuel.

Un langage très particulier apparaît. La communication est sans parole : la conversation se fait à travers le corps. Même si aucune discussion ne s'établit entre le couple de danseurs, on vit une chose intense : le partage de la danse. Plus on change de partenaire, plus ce partage s'enrichit.

Il s'agit donc d'un partage profond, non seulement dans un couple de danseurs, mais aussi entre plusieurs personnes. On danse avec tout le monde. Prenons l'exemple de la Rueda de Casino (voir partie « danse » du dossier). Tous les hommes dansent avec toutes les femmes. En effet, dès que le chef de la troupe prononce le mot « dame » (prononcé damé) le danseur passe sa danseuse à son voisin et ainsi de suite. Ce qui est très particulier à la Rueda de Casino est que tous les hommes rencontreront toutes les femmes de cette ronde et vice versa. Les hommes ne se mélangent pas entre eux, ni les femmes. C'est une tactique très subtile pour permettre aux femmes et aux hommes de se rencontrer et de partager un moment commun et en aucun cas un moment d'acte prêté à la sexualité.

La salsa permet de vivre un grand plaisir du corps sans que cela ne porte à aucune conséquence : comme on ne fréquente pas ces personnes dans la vie courante, on se sent libre et on peut exprimer quelque chose d'intime et profond avec son partenaire sans pour autant nouer une relation au-delà de ce moment. Ce sont des gens qu'on ne côtoie pas forcément, ce ne sont pas des amis forcément proches. On peut donc très bien danser avec un partenaire en ayant beaucoup de choses à partager au moment de la danse et ne rien à se dire après. Le partage est souvent momentané : c'est pour cela qu'il n'y a aucune conséquence et que, si le corps veut aller plus loin, il s'agit d'un désir personnel envers le partenaire et en aucun cas un passage obligé.

Lorsque nous dansons, nous pouvons exprimer toute notre imagination, nos sensations, ce que nous ressentons à l'intérieur de nous-même. Il est vrai, plaire à l'autre est très agréable... Mais cette séduction n'est qu'un jeu limité à quelques minutes ! Le danseur ne va pas plus loin, sauf si sa partenaire lui en fait signe. Au moment de la danse, l'homme a un respect vis-à-vis de la femme. Le but n'étant pas de conquérir et d'obtenir le corps de l'autre, ils dansent par plaisir et se prêtent à un jeu de séduction, s'ils le souhaitent. L'homme et la femme sont comme des acteurs, ils jouent un rôle en dansant lorsqu'ils sont sur une piste de danse, mais ont tous deux une vie privée. Il est très rare de se faire aborder en sortant d'une soirée salsa contrairement à la sortie d'une discothèque. La mentalité n'est pas la même. Le principal est de partager un moment avec la danse, en libérant son corps, son âme, sa tête et surtout en s'amusant !
Le rôle de l'homme, le rôle de la femme dans la salsa

Même si les femmes n'apprécient pas les hommes machos, elles aiment de temps en temps, se laisser porter dans les bras d'un homme viril, fort et protecteur. De même, les hommes n'apprécient pas les femmes trop aguicheuses, mais ils aiment les femmes sensuelles et sexy. Dans la salsa, l'homme peut assumer le rôle d'homme viril et fort, et la femme son côté sensuel et féminin. La sensualité dans cette danse n'est pas perverse mais joyeuse et épanouissante. La salsa fait sortir le côté positif de la sensualité. Elle fait revenir le côté traditionnel, où l'homme est fort, protecteur et mâle : il est dans une attitude active. L'homme protège sa bien aimée, et la femme se laisse guider et suit : elle est dans une attitude passive. Ce côté traditionnel est là comme pour un jeu. On pourrait le comparer au règne animal. Cela renvoie à la différenciation entre la femme et l'homme, il y a longtemps. Bien que les femmes n'acceptent pas cela dans la vie de tous les jours, elles apprécient de le vivre quelques heures. Il n'est rien de plus naturel : dans la nature, les pôles féminin et masculin existent. Le mâle dirige, dit ce qu'il faut faire, et la femme se laisse séduire.

La tension entre les deux pôles différents réapparaît. La séduction peut ainsi se rétablir.

Le fait d'expérimenter le rôle traditionnel quelques heures assouvit quelque chose de profond dans la femme et dans l'homme. Il s'agit d'une satisfaction personnelle : la femme se sent protégée et séduisante, et l'homme se sent apprécié dans ses initiatives, voyant sa partenaire montrer sa féminité et sa sensualité grâce aux figures qu'il introduit. Il se régale de la voir s'épanouir et se sent plus sûr de lui.

Ils en sortent tous deux joyeux et apaisés.

Conclusion
Nous approchons d'une tradition qui rattrape des émotions oubliées dans notre civilisation occidentale. La salsa compense ce qui manque et ce qui a disparu chez nous : une union qui englobe le corps, l'âme et l'esprit, une union entre l'homme et la femme, et une union avec les autres. Nous expérimentons l'être humain dans sa totalité, au sens le plus profond...

Une nouvelle façon de penser réapparaît : on pense à travers le corps. On oublie le train-train de la vie quotidienne. On danse la salsa pour le plaisir de suivre le rythme et de se laisser porter par la musique, pour exécuter des figures élégantes... mais cette danse est bien plus que cela. Elle séduit parce qu'elle permet de retrouver l'énergie et la sensualité originelles du corps à travers le mouvement, et constitue dans la vie comme une parenthèse où l'on peut s'exprimer sa fougue en toute liberté. On retrouve un équilibre en soi que l'on perd souvent. On se ressource.

La salsa offre l'un des rares moments où chacun peut affirmer sa personnalité la plus secrète sans craindre le jugement d'autrui. Les contraintes de la vie quotidienne ne laissent guère de place à l'expression individuelle, à l'énergie naturelle et aux émotions, mais la danse permet d'ôter enfin le masque imposé par les règles de la société. Elle ouvre un monde accessible à tous, car les qualités qu'elle exige (agilité, souplesse, équilibre et endurance) s'acquièrent aisément avec la pratique.

C'est pourquoi les Cubains ont appelé la salsa « la danse de la vie ».